Un jeu d'enfant
« Bonjour,
que faites-vous là ? Il n'y a rien à voir je vous assure ! Non, mais
revenez ! Ne partez pas si vite, vous venez d'arriver. Ah ! Oui, je
vois votre regard, venez vous observer le drame ? Triste scène, n'est-ce
pas ? Cela arrive tous les jours ici depuis déjà quelques mois, et
personne n'arrive à arrêter ce massacre. Êtes-vous nouveau ? Non, pour ne
pas connaître le début de l'histoire, il faut forcément être un
touriste !.. Je me disais bien ! Vous devez vous demander ce qu'il en
est, je comprends. Laissez-moi vous raconter tout depuis le début, et peut-être
même la fin. Avez-vous froid ?
Moi aussi, asseyons-nous ici, dans ce café, cela va prendre un peu
de temps, le corps ne va pas s'envoler, ne vous inquiétez pas !
Croyez-moi, ici, c'est moi qui pourrait le mieux raconter cette terrible
histoire qui fait trembler la ville entière depuis des mois ! »
Tout a commencé le
premier jour d'octobre, les jours se faisaient plus froids, les feuilles
tombaient doucement, la ville était belle sous son manteau orange.
Enfin elle paraissait belle, car à l'intérieur de cette ville aux
allures fleuries se cachait un meurtrier, un «monstre » comme l'appelle
les autres. On a découvert le premier corps ce jour même, c'est ma voisine qui
l'a vu dans le parc en promenant son chien. Elle était traumatisée, c'est son
animal qui l'a senti, le corps était caché derrière un buisson.
On a reçu l'appel deux minutes plus tard, je m'en souviens, c'est
moi qui ai décroché au poste.
J'étais en train de boire mon café avec ma collègue, on discutait
de nos familles :
« - Ouais, ma femme
veut un enfant, elle me saoule avec ça...., me plaignais-je.
-
Vous avez trente ans ! Il faut commencer à y penser !
-
Oui, c'est vrai mais.... Je ne suis pas prêt.
-
Tss, les hommes j'vous jure...Tous les mêmes ! finit-elle en levant les yeux au ciel. »
C'est à ce moment précis que le téléphone sonna, ma collègue me
lança un regard insistant pour que je décroche.
« - Oui, Allo, police à l'appareil. Que puis-je faire pour
vous ? déclarai-je fermement.
-
Oh !Mon cher Thomas...
-
Madame Dygitale ? Je vous ai déjà dit de ne pas m'appeler sur
ce téléphone ! »
Ma voisine a toujours eu la fâcheuse habitude de me contacter sur
le numéro de la police locale pour des affaires inutiles.
« - C'est....urgent ! se justifia t-elle
-Vous avez perdu votre chien ? Plaisantais-je avec ma
collègue, l'invitant à rire à son tour.
- N...non, un corps ! Mort ! Dans le parc ! »
bégaya t-elle.
Je fus saisi de surprise, dans cette ville il n'y avait jamais eu
de gros ennuis, quelques vols, quelques fugues, rien d'important !
Je raccrochai en l'informant de notre arrivée imminente. On
espérait tous que c'était une erreur, qu'en fait, c'était juste un clochard qui
dormait.
Nous sommes arrivés avec une voiture et trois collègues à
l'intérieur.
On a vu Madame Dygitale, ses yeux fixés derrière l'arbuste comme
si elle avait vu la mythologique Méduse : elle était figée. Je me suis
approché en premier. Courageusement, j'ai regardé derrière le buisson. Là, j'ai
vu un spectacle macabre. Il y avait un enfant, un pauvre enfant qui avait à
peine neuf piges, un gamin comme celui que j'aurais pu avoir avec ma femme, un
enfant oui, mais immobile, allongé sur l'herbe. Le corps était d'un blanc
presque immaculé.
Mes collègues, en voyant ma tête, sont accourus. Ils ont alors
remarqué le corps, m'ont regardé. Mon cher ami Marc a été vers Madame Dygitale
pour savoir comment elle allait. Ma collègue Laure, elle, s'est précipitée vers
l'enfant qui semblait mort. Elle essayait de le réanimer, tandis que je
regardais la scène sans rien faire, avec impuissance. Pourquoi était-ce arrivé dans cette
ville ? Sous mon service ? Après des minutes qui paraissaient des
heures de réanimation, Laure m'a regardé les yeux humides, l'enfant du
boulanger était mort. On a vu des traces de sang sur son tee-shirt : coups
de couteau, hémorragie, souffrance, pauvre Léo, je le connaissais bien ce
gamin, j'allais chercher du pain chez son père tous les matins.
J'ai pris ma
collègue dans les bras pour la consoler, elle pleurait à chaudes larmes. Ce
pauvre petit, c'était son neveu, vivre dans ce village impliquait que tout le
monde se connaisse.
On a appelé la
police scientifique et tout le tralala pour commencer l’enquête, pas de temps à
perdre, un tueur se baladait dans nos rues.
Quand je suis rentré chez moi, le soir, j'ai mangé et je suis
monté. Je ne voulais pas parler à ma femme. Alors que je me reposais dans mon
lit, j'ai entendu la télévision d'en bas que mon épouse regardait, c'était les
informations, on parlait partout de ce drame terrible, il y avait des
témoignages de personnes, il y en a un qui m'a interpellé, c'était la mère du
gamin :
« -J'espère que la police va se bouger et retrouver ce
meurtrier ! » pleurait-elle.
Je comprenais son désespoir, même si je n'avais pas d'enfant, mais
le ton de sa phrase était plus une critique qu'autre chose. Oui, je savais
qu'il fallait que je me bouge. Oui, je savais qu'il fallait que je trouve ce
meurtrier, mais non, je n'étais pas un surhomme et j'avais terriblement peur de
ne pas réussir cette lourde tache. Je me tournais, me retournais en repensant à
ce corps, sans vie, d'un petit que je voyais souvent faire du vélo autrefois,
jouer avec les autres, un petit plein de vie qui était maintenant mort.
Cela me rappelait mon enfance, sauf que je n'avais pas eu de
parents, moi. Il avait eu de la chance ce mioche l'air de rien, car il avait
connu le bonheur parental ,lui !
Je frissonnais, je sentis les
larmes me monter aux yeux et après je me suis dit que je n'y pouvais rien et
que je devais me bouger, pour sa famille, pour trouver le meurtrier.
J’entendis ma femme monter
l’escalier, elle s’allongea à côté de moi, et me prit dans ses bras, comme pour
rassurer un enfant faible, sauf qu’ici c’était moi l’enfant.
Le lendemain, je me réveillai d’un bond
et après être sorti de chez moi, je me dirigeai vers le poste de police, rempli
de journalistes en quête d’actualité devant la porte. J’essayai de passer tant
bien que mal, entre toutes ces caméras. Laure me salua, toujours avec la même
tête qu’hier.
«-Laure, il faut se ressaisir
! la conseillais-je.
-Oui...je sais… je vais trouver ce
monstre, je le promets. »
Les jours avançaient, mais nous on reculait : aucune hypothèse,
aucun suspect, le meurtrier était très doué, il n’avait laissé aucune trace.
On n'en savait pas plus sur la
manière de tuer. La victime avait été enlevée en plein jour, c’était sûrement
une connaissance de l'enfant car il n’avait pas résisté, il avait été tué dans
le parc. La nuit, l’enfant avait donc été stocké quelque part en attendant.
Mort simple : Le tueur l’avait
poignardé une fois au niveau du ventre, et une fois au cœur.
Pas de mise en scène particulière. On espérait
juste que ce ne soit pas un tueur en série, que ce soit seulement un excès de
rage.
Mais tout cela paraissait bizarre, car on se
demandait qui aurait pu être en colère contre lui.
C'était un enfant sans histoires, toujours
gentil, avec une vie parfaite.
On y réfléchissait avec mes
collègues.
On était plusieurs sur l'enquête
mais nous étions seulement trois à avoir le courage de cloître cette affaire,
les autres avaient préféré fuir. C'est, qu'ici, les meurtres n'étaient pas
présents à chaque coin de rue.
C'est ainsi que Marc, Laure et moi,
nous nous retrouvâmes ensemble, dans la grande salle, en train de réfléchir.
« -Non mais sérieusement quel
odieux monstre pouvait en vouloir à Léo ? annonça Laure qui avait
vite repris son sérieux depuis la dernière fois.
-Je ne sais pas, je ne comprends
pas, pourtant il a une vie parfaite ! recommençais-je.
-Mais oui,
bien-sûr ! » s'exclama Marc.
Marc avait toujours été, en plus de
mon pote d'enfance, un policier hors pair, il avait un sixième sens incroyable
et avait effectué des études en psychologie. Quand il parlait, tout le monde se
taisait et l’écoutait, il était très respecté.
«-Peut-être que le tueur est jaloux
de l'enfance de ce Léo, après tout il a toujours eu une vie parfaite comme tu
l'as si bien dit ! Pour l'instant, on n'a pas de preuves par contre…,
continua-t-il.
-...Oui, c'est vrai, mais c'est une
piste à explorer ! » conclut ma collègue.
Moi, je ne disais rien, j'écoutais
juste attentivement.
On avait enfin une piste. C'était
déjà une bonne nouvelle, on pouvait enfin imaginer notre suspect, du moins son
profil psychologique.
De toute façon, on allait découvrir
enfin le corps avec une scientifique pour réaliser l'autopsie.
On allait peut-être trouver des
indices.
Nous sommes arrivés devant le corps, Laure l'a
vu puis est sortie quelques minutes, je l'ai rejoint pour la consoler, elle est
un peu comme ma petite sœur.
On est revenu dans la salle, la femme nous a
expliqué qu'il n'y avait aucun signe de lutte, ce qui confirmait notre théorie
: soit la victime avait été assommée par surprise ou endormie, soit elle
connaissait l'agresseur.
Le premier coup de couteau a été
prouvé au ventre, et au cœur.
En observant le corps, je proposai
mon hypothèse :
« -Et si la blessure au ventre
avait déjà tué la victime avant le coup final au cœur ?
- Qu'est-ce qui peut vous faire
dire cela ? me demanda perplexe la scientifique.
-Juste une intuition. Cela me
semble logique. Après tout, cela ne servait à rien de lui ouvrir le ventre,
sachant qu'il était déjà mort. En plus, il ne manque aucun organe à ce que je
sache. »
C'est vrai qu'à ce moment là, je me
croyais dans une série policière, et je dois avouer que j'appréciais cela.
Laure, en pensant à la souffrance
de son neveu, fondit en larmes.
Elle se retourna quelques instants
afin de les cacher.
Cela paraissait bizarre, à quoi
cela pouvait-il servir de redonner un coup de couteau à la victime, si elle
était déjà morte ?
Marc pensait que cela avait un sens
symbolique par rapport au cœur.
Je n'étais pas sûr de tout
comprendre dans son raisonnement, mais j'avais quand même fait des recherches
dans les dossiers, pour voir s'il y avait un autre meurtre du même genre.
Aucun.
Bien sûr, les médias se sont emparés
du fait que c'était un tueur unique, jamais rencontré, pour lui donner un
surnom : Le tueur de Sentarme, Sentarme étant tout simplement le nom de
notre chère ville. C’était bien beau de lui trouver un nom mais les
journalistes auraient dû en chercher un plus original.
« Le tueur de Sentarme »,
c’était nul ! Le tueur aurait dû trouver son propre nom, plus classe, plus
sanglant, là on aurait dit un jeu de société, il ne restait plus que le slogan
hasbro et on y aurait cru.
Après cette longue journée qui n’avait
encore rien donné de spécial, je sortis assez tard, on avait choisi de faire
des heures supplémentaires volontairement, cela ne me dérangeait pas trop, ma
femme n’était pas de cet avis.
Quand je suis rentré, elle
m’attendait de pied ferme dans le canapé :
« -Alors ? commença
t-elle en se retournant
-Toujours rien, on interroge ses
parents demain.
-Tu rentres encore tard pour ne
rien trouver ! s’exclama t-elle.
-Tu ne vas pas
recommencer... » soupirais-je.
Je m’asseyai dans la cuisine, à
quelques mètres d’elle. Elle me prenait encore la tête car je travaillais trop,
elle ne comprenait pas trop pourquoi j’étais devenu policier. Quand on s’était
rencontrés, j’étais en bac S, j’avais de bonnes notes, j’avais tout pour
devenir médecin ou scientifique mais j’avais choisi la carrière de policier.
C’était une vocation venant de mon
enfance, je voulais protéger les enfants, les femmes battues et la ville. Ce
meurtre redonnait un coup de pep’s, si je puis dire, à ma carrière devenue
monotone.
Je rêvais de monter un peu dans la
hiérarchie, j'étais jeune, c’était normal. Si je faisais de mon mieux pour
résoudre cette enquête et que je trouvais le coupable parfait, ce serait gagné
à coup sûr !
Reparti pour une nouvelle journée,
j’avais un peu peur, car interroger les parents de la victime, c’était assez
délicat. C’était pour cela que l’on avait attendu quelques jours, le temps que
le choc s’affaiblisse.
J’avais dû aller interroger la
famille tout seul, Laure refusait de le faire car elle ne serait pas assez
objective, et Marc était occupé.
Comme d’habitude, je devais me
charger de tout, je croyais, j'en étais même sûr, que cela méritait une
promotion !
J’avais donc toqué à la porte de la
boulangerie, en uniforme, et cette voici, ce n’était pas pour aller chercher du
pain malheureusement.
La boulangerie était fermée depuis
le drame.
La mère de Léo m'avait accueilli
avec un sourire triste et m’avait fait entrer chaleureusement.
Je m’asseyais sur l’une des trois
chaises de la cuisine, Madame Brill me demanda si je voulais un café, je
refusai poliment.
« -Vous savez bien pourquoi je
suis ici ? demandais-je avec douceur.
-Oui, bien sûr, je vais appeler mon
mari.
-Non, laissez-le, la procédure
m'oblige à vous parler individuellement.
-Oh, je vois.
Elle s'approcha et s’assit en face
de moi. Je vis alors ses poches marquées en dessous de ses petits yeux tristes.
Malgré le maquillage, on voyait bien son air fatigué, elle essayait de masquer
son épuisement par un sourire forcé.
Je sortis mon bloc-notes de ma
poche ainsi qu'un crayon puis commençai à poser des questions.
« - Alors, première question,
où étiez-vous le soir du meurtre ?
Son sourire disparut soudainement.
Un mélange de tristesse et de colère prit place sur son visage.
- Quoi ?! Insinuez-vous que
j'aurais pu tuer MON propre enfant ? La chair de ma chair ? Celui que
j'ai voulu et que j'ai porté pendant neuf mois ?
Je ne pouvais plus l’arrêter. Pris
dans son élan de rage, elle entamait un monologue sur son enfant
« parfait » à qui elle n'aurait fait aucun mal pour rien au monde.
Je l'écoutai attentivement,
essayant de l'interrompre pour la calmer.
« -Madame, je vous en prie,
calmez-vous. Je me dois de n'écarter aucune piste. Je veux autant retrouver le
meurtrier que vous ! lui expliquai-je calmement.
Elle se calma, essuya les larmes
qui s'étaient échappées pour couler sur ses joues.
-Je...je suis vraiment désolée…
s'excusa t-elle.
-On peut reprendre l'interrogatoire
, si vous le souhaitez.
Elle prit une grande inspiration
puis me demanda de continuer avec une faible voix.
Après avoir posé les questions
obligatoires : «Qui, que, où, comment, quand, etc... »
J'en venais à m'immiscer dans sa
vie privée :
«- Avait-t-il des
problèmes ? Était-il victime d' harcèlement ?
-Non, pas du tout !
s'indigna-t-elle.
-Vous a t-il parlé de ses soucis,
que ce soit avec un élève, un enseignant, ou même un adulte quelconque ?
réessayai-je.
-Bien-sûr que non ! Vous
pourrez demander à n'importe qui, il était aimé de tous ! C'est… C'était
un garçon formidable…, se corrigea t-elle, troublée.
A l'entendre, cet enfant était un
ange tombé du ciel ou alors elle me mentait.
Un enfant sans problèmes ?
N’importe quoi. Tout le monde a des problèmes, j'en avais déjà fait les frais.
Et je pouvais vous dire que même un
enfant pouvait se retrouver dans une histoire lugubre malgré lui.
L'horloge tournait, je mis fin à
cet interrogatoire.
J’enchaînai les suspects
potentiels, on traitait le dossier en long en large, cherchant le moindre
indice susceptible de nous aider.
Mais rien. Rien du tout. Aucune
preuve ne tenait la route. Le coupable était un véritable génie.
Voilà plus d'une semaine que nous
étions à cran. Comme chaque jour, je rentrai frustré en claquant la porte de ma
maison.
Même chez moi, je travaillai. Alors
que j'étais en pleine réflexion pour un plan, ma femme m'interrompit :
« On mange ! » cria-t-elle.
Elle s'approcha de moi, d'un air
attendri.
Elle passa ses bras autour de mes
épaules amoureusement et me chuchota :
«- Que fais-tu ?
-Je rédige une lettre pour le
travail. Laisse moi, j'arrive.», la repoussais-je sèchement en cachant mon
écrit.
Elle repartit vers la cuisine,
encore déçue de mon attitude.
Avec l'enquête, je m'éloignai de
plus en plus d'elle, jusqu'à en dormir au poste ou dans le canapé par peur de
la réveiller.
Après avoir mangé, je sortis faire
un tour pour me changer les idées.
Je rentrai quelques heures plus
tard, apaisé par cette balade.
« -Où étais-tu
encore ? entendis-je du haut de l'escalier. Je sursautai, je ne
m'attendais pas à ce qu'elle soit encore réveillée.
« -J'ai entendu la porte
claquer. Ne fais pas l'innocent. Je sais tout.
Je ne comprenais pas. C'était
impossible.
« Tu sais quoi ?
répliquai-je le plus calmement possible.
-Une de mes amies t'a vu devant
chez Laure.
Je soufflais de soulagement.
-Ah ça, j'ai été déposé… des
dossiers chez elle. »
Je montai les marches qui me
séparaient d'elle pour la rassurer. Elle était jalouse de ma collègue.
Juste jalouse.
Alors que j'étais en train de
dormir profondément au côté de ma femme, j'entendis mon téléphone portable
sonner.
Je me réveillai et pris le
téléphone situé sur la table de nuit, somnolant toujours.
Je décrochai sans prendre la peine
de regarder le nom de la personne qui m’appelait.
Je reconnus tout de suite la voix
de ma collègue, Laure :
«- Il y a un...enfant, du
sang … ! Viens, je t'en supplie, j'ai...peur !
Sa voix était entrecoupée de petits
sanglots. Je ne comprenais rien.
-Où es-tu ?
-Dans la forêt… à côté… Viens vite,
aide moi ! Je ne sais pas quoi faire !
Elle avait l'air tellement
paniquée.
-Que fais-tu dans cette forêt à
deux heures du matin ?!
-Une...lettre...Viens vite,
je…t'expliquerai tout !
-J'arrive. »
Je raccrochai puis je me levai
soudainement.
Pendant que je m'habillais, ma
femme, que l'appel avait réveillé, se redressa.
« -Qu'est ce que tu
fais ? me chuchota t-elle encore endormie.
-Je pars rejoindre quelqu'un, me
justifiais-je.
-Laure, je présume ?
Son air endormi avait disparu pour laisser
place à la jalousie.
-Oui, mais ce n'est pas ce que tu
crois.
-Je ne crois rien, je constate.
-C'est pour le travail,
répliquais-je sèchement.
-Bien sûr, pour le
« travail ».
Je partis en vitesse, sans prendre
le temps de lui répondre.
Je montai dans la voiture pour me
diriger vers Laure.
Arrivé près d'elle, je courus vers
ma collègue, immobile, devant un corps sûrement sans vie.
« -Laure ! Criais-je
toujours en me dirigeant vers elle.
Quelle scène morbide ! Un
petit corps d'enfant gisait immobile, dépourvu d'âme.
-Laure, qu'as-tu fait ?
hurlai-je paniqué, C'est toi ? C'est toi qui a … ?
-Non, enfin oui...je ne sais
pas !
La police arriva rapidement après
mon appel. Mes collègues prirent Laure à part pour l'interroger pendant que
Marc me posait des questions.
« -Que faisiez-vous dans la
forêt à cette heure ? me demanda t-il.
-J'ai reçu un appel de Laure. En
pleine nuit. Tu peux demander à ma femme.
Il nota cela sur son petit bloc
notes, songeur.
-Que t'as t-elle dit ?
-Je ne sais pas, elle pleurait, me
demandait de venir, et quand je suis arrivé, elle était à peine à un mètre du
corps.
-Tu crois que...cela peut être
elle ? me dit-il bouleversé.
-Je ne sais plus quoi en penser,
pour être franc. Elle même ne sait plus. J’espère que ce n'est pas elle, mais tout
laisse penser le contraire. »
Alors que Laure était en garde à vue, mes collègues et moi
cherchions des preuves pour prouver soit son innocence soit, dans le pire des
cas, sa culpabilité.
Je dus demander à la ville les vidéos filmées par les caméras de
surveillance.
On était donc réunis devant un écran d'ordinateur, avec Marc.
On regardait et analysait chaque parcelle de l'enregistrement,
mais nous nous rendîmes compte rapidement qu'aucune caméra n'avait été placée
sur les lieux du meurtre. C'était logique, après tout, c'était rare de
surveiller des forêts.
Alors que Marc désespérait de ne trouver aucun indice, je vis, sur
l'écran, une voiture allant par la route principale vers la forêt du meurtre.
« -Marc, viens voir !
Il se leva de sa chaise dans un élan d'espoir pour s'approcher.
-As-tu trouvé quelque chose ?
-Oui, regarde cette voiture, elle va vers la forêt à l'heure même
où le meurtre a été commis !
-Prends sa plaque d'immatriculation, il me dit quelque chose, ce
véhicule. Nous allons retrouver ce foutu tueur. »
Il s'éloigna tandis que j'écrivais le numéro de celle-ci.
Quelques heures plus tard, j'appris enfin le nom du propriétaire.
« -Marc ? J'ai eu les résultats…
-Enfin ! Alors ? me répondit-il, heureux.
-C'est…enfin, il est marqué ceci… commençais-je.
-Dis- moi, crache le morceau ! m'interrompit-il.
-Il est marqué que c'est Laure. »
Il y eut un long moment de silence, puis Marc, stressé, me prit la
feuille des mains, afin de vérifier par lui-même. Il la lut deux ou trois fois
à voix haute comme pour s'assurer que ceci était bien réel.
Il finit par dire :
«-Non… Je vais refaire les tests, il y a dû avoir un problème ou
une confusion !
-Marc, les tests sont formels. Je les ai déjà fait trois fois,
l'informais-je.
-Après cela ne veut rien
dire. Peut-être allait-elle faire des courses ?
-A cette heure là ? Dans la forêt? Cela n'a aucun sens. Reste
objectif, Marc. »
Après cette preuve, nous décidâmes d'aller interroger Laure.
Quand je rentrai dans la pièce, je ne vis pas Laure, je ne vis pas
ma Laure. Je vis une autre femme, lui ressemblant, mais à moitié traumatisée
par ce corps. Je vis une femme pâle et triste.
Elle était assise, le regard perdu dans le vide de la pièce.
Nous nous assîmes devant ce corps dépourvu d'âme.
« -Salut Laure, tiens-tu le coup ? Lança Marc.
-...Comment tenir le coup alors qu'on m'accuse de meurtre !
-Nous avons des questions à te poser » dis-je.
Elle acquiesça.
« - Pourquoi as-tu pris la route principale vers la forêt le
soir du meurtre ?
- Je ne sais pas..Je ne sais plus, c'est flou. Je me souviens
d'une lettre.
-Une lettre, qui te l'a envoyé ? Qu'est ce qu'elle racontait?
s’empressa de demander Marc.
-Je n'en sais rien. Elle me disait
qu'il y avait un meurtre et que si je voulais sauver l'enfant, je devais y
aller. Après je suis arrivée devant le corps, il n'y avait personne. J'ai eu
peur. C'est pour cela que je t'ai appelé, s'expliqua t-elle en me désignant.
Je hochai la tête.
-Qu'as-tu fait de la lettre ?
Demanda Marc.
-Je.. Il me semble te l'avoir
donnée, m'a t-elle dit.
-Tu dois te tromper,
l’interrompais-je.
-Oui, je suis un peu sous le
choc. »
Malgré un long interrogatoire, il
n'y avait rien qui justifiait son innocence.
Marc et moi étions donc dans une
salle, en train de réfléchir.
« - Je ne comprends
rien ! Ce n'est pas possible, se plaignit-il.
Il était assis, la tête dans ses
mains.
-Peut-être qu'elle est.. Il se peut
qu'elle ait fait une connerie, essayais-je de lui dire.
-Quoi ? Mais comment peux-tu
penser cela ? N'as-tu donc aucun cœur ? C'est notre amie, je te
signale !
Il avait relevé la tête, en colère.
-Je sais.. C'est mon amie, je crois
en elle, mais les preuves sont formelles. Il n'y a qu'elle qui peut l'avoir tué
et on n'a retrouvé aucune lettre !
-Mais ! Tu es..ignoble !
Tu sais bien que ce n'est pas elle ! Et puis le tueur n'aurait pas
emprunté la route principale ! Il aurait pris le détour où il n'y a pas de
caméras !
-Elle était sûrement bouleversée,
peut-être qu'elle a un trouble de personnalité ou une autre maladie mentale. Tu
sais très bien que c'est possible, Marc.
-Non, ce qui est possible c'est que
le tueur ait voulu faire accuser quelqu'un d'autre. Il a écrit la lettre, lui a
envoyé et a réussi à lui reprendre entre deux.
-Il n'y a personne qui était sur la
scène de crime à part les policiers, lui disais-je.
-Et si.. c'était un des policiers
le coupable ? Cela expliquerait pourquoi il n'y a aucune trace, car il
sait s'y prendre.
-Laure est une policière, elle
était sur la scène de crime. Laure est sûrement coupable, mets toi bien cela
dans ta tête. »
Il partit, sans me regarder. Il
m'en voulait de penser cela mais j'étais sûr qu'il allait un jour comprendre,
lui aussi.
Laure fut donc arrêtée, malgré les
preuves peu nombreuses. En attendant son jugement, elle restait enfermée. Avec
Marc, on allait la voir souvent. Elle pleurait la plupart du temps. Au début, elle affirmait qu'elle n'aurait
jamais tué un pauvre enfant et encore moins deux.
Mais avec le temps, elle était
troublée et elle hésitait. Elle se remémorait chaque scène. Elle n'avait aucun
alibi pour les deux meurtres.
Ses pensées étaient vagues et
elle-même nous avouait qu'il se pourrait qu'elle soit folle.
Marc disait que c'était juste un
traumatisme lié aux corps qu'elle avait vu, à tout ce qu'il s'était produit
ensuite.
Il affirmait qu'elle n'était pas
coupable.
Les médias eux, s'acharnaient sur
elle. C'était la seule suspecte.
Tout le village était contre elle.
Ma femme me disait que cela ne l'étonnait pas.
« - Je sais que cette affaire
était compliquée pour toi, mais maintenant c'est fini, m'avoua t-elle un
soir.
-Compliqué ?
-Oui, avec ton enfance et tout
ça...
-Qu'est-ce que tu sais de mon
enfance ? demandais-je.
Je ne lui avais pourtant jamais
rien dit. Je n'avais jamais parlé de mon enfance à qui que ce soit.
-Je sais que je n'aurais pas dû,
mais j'ai lu ce que tu avais écrit, il y a longtemps.
Il y a cinq ans, juste avant de me
mettre en couple avec ma femme. J'avais, en effet, écrit quelques notes sur mon
enfance afin de me libérer.
-Qu'est-ce que tu sais ?
m'énervais-je.
-Je sais que.. ton père te
battait... je suis désolée. Je n'aurai pas dû, s'excusa t-elle.
-QU'EST CE QUE TU SAIS
D'AUTRE ? lui criais-je.
-Que ta mère l'a tué.... et
qu'ensuite elle s'est suicidée...Tu as dû tellement souffrir. Je comprends
pourquoi tu ne veux pas d'enfants..Je pense que tu devrais consulter. »
Je partis, en colère. Elle n'était
personne pour me conseiller quoi que ce soit.
Tout ce qu'elle disait était vrai.
J'avais eu une enfance compliquée. Je le savais. J'étais même parfois jaloux de
ceux comme Léo, le fils du boulanger, qui avaient eu une enfance heureuse.
Laure était de plus en plus triste.
Marc restait souvent avec elle, malgré la loi. Je venais de temps en temps. La
pauvre, se faire accuser à tort c'était compliqué. Du moins, à tort, c'est ce
que Marc pensait.
Marc m'en voulait de la croire
coupable. Je ne la croyais pas coupable. Mais c'était elle, la coupable
parfaite et je l'avais arrêtée. La promotion me brisait le cœur, je me rendis
compte de cela peu avant son jugement.
C'est pour cela qu'aujourd'hui je
suis là, assis ici, en face de vous à tout vous raconter.
Laure est en prison au moment où je
vous parle. Vous vous doutez donc bien qu'elle est innocentée vu le meurtre à
quelques pas de nous. Laure n'est pas la coupable. Elle était en cage au moment
du meurtre.
L'enquête repart à zéro.
Le meurtrier reste inconnu.
Enfin pas pour tous.
Je sais qui est le meurtrier....
Aujourd'hui, je suis de bonne
humeur, je vais vous le dire, moi, qui est le coupable !
Ah ! Je vois à vos yeux que
vous avez hâte de savoir !
Le tueur n'est personne d'autre que
moi. Avez-vous vraiment cru que c'était la pauvre petite Laure ?
Vous êtes tellement naïf !
Laure est si innocente, si fragile.
N'avez-vous jamais voulu effacer
quelqu'un d'énervant ? Le petit Léo avec sa vie parfaite, insupportable.
Avez-vous déjà été jaloux maladivement de quelqu'un ? J'ai eu une enfance
horrible, entre les coups de mon père et les moqueries à l'école. J'ai toujours
été le dernier, le perdant, la victime. Mais maintenant, la roue a tourné. Fini
le temps où tout le monde s'acharnait sur moi, aujourd'hui commence une
nouvelle ère. Personne ne pourra m’arrêter ! Car aujourd'hui la victime
s'est transformée en prédateur. Alors oui, j'ai tué ces trois gamins, y compris
celui devant vous.J'ai tué un autre enfant après Léo, j'ai pris un détour et
j'ai envoyé une lettre à Laure pour lui dire de se rendre dans la forêt pour
sauver cet enfant, en sachant qu'elle allait y aller, elle qui est si sensible.
Puis quand elle m'a appelé, j'en ai
profité pour reprendre la lettre, elle était traumatisée et n'avait plus les
idées claires. Et je n'ai pas honte de dire que je me suis bien amusé ! Si
c'était à refaire, je foncerai sans hésitations. J'ai eu la chance de pouvoir
stocker les enfants dans une petite cabane dans les bois, la cabane de mon
enfance où je me réfugiais pour échapper à mon père.
Heureusement, je pouvais justifier
mes nombreuses absences auprès de ma femme par mon travail envahissant.
Pourtant, j'étais beaucoup plus souvent dans cette cabane.
Ensuite j'ai eu un peu pitié, car
même le pire des monstres a un cœur, on n'est jamais tout blanc, ni tout noir,
il y a énormément de teintes grisées. Ma pulsion est revenue, j'ai tué l'enfant
à deux mètres de nous sans difficultés. Ensuite, il me suffit d'accuser
quelqu'un d'autre, peut-être Marc, peut-être vous !
C'est tellement simple de les
attirer. En effet, ils me connaissent en tant que policier, les tuer , mettre
le corps dans un endroit où on les retrouvera, cacher les preuves, accuser
quelqu'un d'autre: un jeu d'enfant !!
« - Mais.. Si tout cela est
vrai, pourquoi me l'avouer ? Pourquoi l'avouer tout court ?
-Vous savez, cacher un secret de
cette taille n'est pas facile. J'avais envie de le dire à quelqu'un. Je suis
sûr que vous allez garder le secret.
-Je peux le dire à la
police !
-HA HA HA ! Vous ne connaissez
même pas mon prénom, ni mon nom ! La police ? Mais voyons!Je suis la
police !
Amélie
et Marie
FIN
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