Science-fiction

L'effacement

A vingt deux ans, Alex Tredson était une jeune fille en apparence quelconque quoiqu’elle ait toujours eu de curieuses habitudes et d’étranges facultés. Par exemple, elle avait pour rituel, à son entrée dans une pièce de se placer près de la sortie. En cas d’incendie, disait-elle. Il lui était aussi courant de jeter un coup d’œil circulaire au plafond afin de repérer d’éventuelles caméras. A ce propos, Alex s’arrangeait toujours pour ne pas figurer sur les photos de groupe. Même sur les films de vacances, elle jouait aux abonnés absents. L’adolescente  gardait depuis longtemps une fascination pour les sports de combat. Alex était dotée d’une agilité extraordinaire, elle savait courir longtemps et vite, elle grimpait avec aisance, nageait avec souplesse. Beaucoup semblaient fascinés même s’il ne fallait pas s’y frotter de trop près. En effet, il lui arrivait d’avoir des réactions plus que troublantes. Alex pouvait se montrer agressive, elle avait horreur qu’on la touche. Elle retenait ses réflexes de défense lorsqu’on la câlinait, ayant conscience que se débattre aurait été déplacé, mais il ne fallait pas chercher à l’incommoder ou ses muscles, tendus à se rompre entamaient une chorégraphie dont vous n’auriez conscience qu’une fois face contre terre. L’année dernière, c’était son ami Maxime qui en avait fait les frais. Alex avait manqué de lui casser le bras après que celui-ci lui ait administré une tape sur la joue à laquelle elle ne s’attendait visiblement pas. Le pauvre bougre n’osait même plus la saluer.
On ne soupçonnait pas sa nature sauvage à voir son visage angélique, souriant aux joues roses et aux yeux sombres pleins de malice. On n’imaginait pas tant de puissance dans ce corps gracile ni tant de lucidité dans cet esprit jovial. Cependant, elle ignorait la cause de tout cela, Alex se disait garçon manqué, voilà tout. Sa famille s’était habituée à cette personnalité originale. Les filles ne parvenaient pas à la comprendre, les garçons de son âge appréciaient cette belle jeune femme et son tempérament effronté mais aucun ne parvenait à l’approcher suffisamment pour la rendre amoureuse. Elle était insaisissable, libre de corps et d’esprit. Et pourtant, elle était toute entière le résultat d’un lourd passé auquel elle était enchaînée sans même le savoir.

* * *                      

Un lundi soir pluvieux, alors que l’après–midi laissait place au soir, Alex rentrait chez elle. Elle s’affaissa dans son fauteuil. La journée avait été éprouvante et le temps mauvais. A présent, elle goûtait un silence paisible avec délice. Néanmoins, quelque chose d’inhabituel  la dérangeait. Quelque chose de volatile, une odeur, un parfum… un parfum d’homme. Un homme était entré dans son appartement. Ses muscles se raidirent et, tous les sens aux aguets, elle s’improvisa une arme.
Elle entendit « Alex… un chandelier ? Vraiment ? » L’homme en question était assis dans son salon. Il venait de se retourner dans un fauteuil pour faire face à son hôte.  Il devait avoir aux environs de quarante cinq ans, les cheveux châtains et mesurait un mètre quatre-vingt.

- Qui êtes vous ?
-          - C’est moi, Peter.
-          - Comment connaissez-vous mon nom ?
-          - Je te l’ai dit Alex, on se connait, tu ne t’en souviens plus mais c’est normal.
-          - Je regrette, je ne vous connais pas.
Peter poussa un long soupir.
-          Veux-tu poser ce que tu as dans les mains ?
Alex, d’abord réticente s’exécuta pourtant.
-          - Que voulez-vous ?
-          - Je suis venu te révéler ton passé.
-          - Quel passé ?
-          -Ton passé au sein de l’O.S.E l’organisation des secrets d’état. Tu as intégré cette organisation à quinze ans et a été surentraînée sur demande de ton père.
-         -  Vous faites erreur sur la personne, mon père est parti quand j’étais enfant, je ne l’ai jamais connu.
-          - Non Alex, ça aussi tu l’as oublié. Ton père est le fondateur de l’O.S.E. Quand tu es née, il avait perçu un grand potentiel en toi et il ne s’était pas trompé. Tu as mené une carrière remarquable parmi nous.
La pauvre jeune femme restait dubitative, toute cette histoire lui semblait improbable.
-          - En quoi ma carrière fut-elle si remarquable ?
-          - Tu as cent soixante cinq missions menées à terme à ton actif, trente quatre recueils de données, cinquante trois cambriolages -c’était ton domaine de prédilection-, vingt neuf sabotages, et tr…
Peter se tut puis regarda son auditrice comme pour savoir si elle avait des questions.

-         - Et quoi ? Nous ne sommes pas à cent soixante cinq.
-          - Il n’est pas nécessaire de te remémorer chaque parcelle de ton histoire, certaines choses…
-         -  S’il vous plaît.
Alex regarda Peter avec une effrayante détermination.
-         - ... Et quarante neuf assassinats.

Les derniers propos de Peter avaient heurté Alex avec violence. Jamais elle n’aurait pu.
Elle ne parvenait pas à savoir si elle devait douter de Peter ou d’elle-même.

-          - Quand tu étais en mission, l’adrénaline te sauvait de cette vérité et quand tu rentrais au centre, l’entraînement t’épuisait assez pour te faire dormir l’esprit tranquille. Mais ton cœur s’était assombri, tu avais perdu ton insouciance. Tes yeux, encore bien jeunes avaient trop vu de la vie, au grand damne de ton père. Il s’en voulait terriblement, te voir peu à peu sombrer dans la dépression le déchirait. Alors, un jour, il prit une décision qui l’éloignerait de sa fille mais qui la sauverait. Ce fut l’effacement, processus qui consiste à injecter un sérum dans l’organisme de l’individu agissant sur l’hippocampe, dans le but de le rendre amnésique. Il fallait que tu oublies.  Il fallait que tu ailles mieux. C’était l’unique exigence de ton père, l’O.S.E pouvait bien cesser de fonctionner  tant qu’il n’aurait pas la certitude que tu étais sauve.
Peter marqua une pause, puis ajouta :
Tu ne t’es jamais demandé d’où venaient toutes tes capacités et réflexes ?
-          - Je, euh…
La jeune femme ne savait plus quoi penser. Elle paraissait complètement perdue. C’était impossible. Peter avait commis une erreur, ce n’était pas d’elle dont-il avait parlé à l’instant. Il allait le lui dire, puis il repartirait et cette comédie prendrait fin. La vie continuerait comme si elle n’avait jamais rencontré cet homme.
Peter prit un air grave.
-          - Tu ne me crois pas, je me trompe ?
-          - Et bien, je reconnais avoir du mal à me convaincre de la véracité de votre récit.
-          - Dans un souci de confidentialité, chaque agent de l’O.S.E. est identifié par un numéro qu’on lui tatoue à l’arrière du crâne lors de son entrée au centre.
Un lourd silence s’installa dans la pièce.
-          Qu’est-ce que tu attends ? demanda Peter.

Alex bondit de son fauteuil, se précipita devant le miroir de la salle de bain et écarta ses cheveux à l’endroit indiqué. Ses mains tremblaient dans la crainte de ce qu’elle allait découvrir. Elle étouffa un cri, un quatre et un sept se dessinaient sur sa peau. Des points noirs se mirent à danser devant ses yeux et ses oreilles bourdonnaient.  Depuis le début, tout son corps lui criait la vérité mais Alex était resté sourde à ses plaintes.
La jeune fille rejoignit Peter, en colère. Elle ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir.

-        - Je ne comprends pas. Si mon père s’est donné tant de mal à me faire oublier, pourquoi êtes-vous ici ? Pourquoi m’avez-vous retrouvé ? C’est stupide et complètement illogique !
L’émotion transparaissait dans sa voix.

-          - Mais l’amour n’a rien de logique, ma fille.







Hanna Deubort

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